La convivialité d'Ivan Illich

Auteur : Dimitri Chaline

1. Identification

  • Titre : La convivialité
  • Auteur : Ivan Illich
  • URL : https://archive.org/details/illich-convivialite
  • Édition : Seuil
  • Date de publication : 1973
  • Mots clés : convivialité, technocritique, institution, développement, technologie, marchandise
  • Chapitres lus : Introduction et chapitre II. de "L'outil et la crise" à "L'autre possibilité : une structure conviviale"

Contexte éditorial :
Après les événements de mai 68 et la publication en 1971 de son livre Une société sans école qui fut un immense succès, Ivan Illich publie La convivialité afin de traiter de sa vision de la convivialité, expression inventée par Brillat-Savarin en 1825, et qui fut repopularisée par ce nouveau livre.

Contexte auctorial :
Ivan Illich est un prêtre autrichien, devenu philosophe, connu pour sa critique de la société industrielle. Il a notamment critiqué le principe d'institutionnalisme dans ses différents ouvrages, comme Une société sans école (1971) ou Némésis médicale (1975). Ses refléxions l'ont mené au concept de convivialité dont il fait part dans son livre La convivialité (1973) dont fait l'objet cette fiche de lecture.

2. Analyse du texte

a) L'Homme doit utiliser l'outil et non l'inverse

  • Problématique : En quoi les outils que nous utilisons aujourd'hui sont ils néfastes au bon développement de la société ? En quoi nous privent ils de liberté et de créativité ?
  • Contexte : Depuis l'industrialisation de la société, nous avons essayé de créer des outils qui pourraient remplacer l'Homme, qui pourraient travailler à sa place.
  • Hypothèses de l'auteur : Ces outils que nous avons créés depuis la période postindustrielle n'ont pour effet que de priver l'être humain de sa liberté de façonner le monde qui l'entoure, et de sa créativité. Certes ils permettent d'améliorer la productivité mais à quoi bon produire plus si en conséquence nous ne sommes plus libres, mais prisonniers d'une société qui nous relègue au simple rang de consommateur et d'usager, et où nous ne sommes plus acteur. Selon Illich, c'est l'Homme qui doit se servir d'outils et non l'inverse. L'outil doit permettre à chacun, indépendamment des autres, de façonner son propre avenir. En effet, les outils actuels standardisent, industrialisent, et programment notre vie.
  • Réponses apportées par l'auteur : Il faut repenser l'outil (au sens très large) pour "assurer collectivement la défense de notre vie et de notre travail". Cela signifie que l'outil doit préserver l'autonomie de chacun et ne créer ni maîtres ni esclaves. L'outil doit être, comme il l'a toujours été durant toute la période préindustrielle, un élément dont l'Homme se sert pour travailler, et non un élément qui travaille à la place de l'Homme. Il doit lui permettre d'élargir son rayon d'action. C'est en ce sens qu'Illich définit la convivialité. Un outil convivial doit pouvoir être utilisé par tous ceux qui le souhaitent, qu'importe les diplômes ou qualifications qu'ils possèdent.

b) Il faut repenser la société

  • Problématique : Comment reconstruire la société sur cette nouvelle base conviviale ? Quels en sont les freins ?
  • Contexte : Aujourd'hui, tous les outils (au sens très large : on y inclut les institutions, les infrastructures, les services...) sont au cœur d'une société de production (de biens, de services) dont le but est de toujours produire plus. La société nous impose de ne devenir plus que des consommateurs de produits et des usagers de services.
  • Hypothèses de l'auteur : Des institutions dominent notre société tandis que nous, les usagers-consommateurs, laissons celles-ci déterminer notre avenir et nos besoins. Ces institutions créent des valeurs abstraites, comme la nécessité de l'école par exemple (à différencier de l'éducation), afin de matérialiser un manque chez l'Homme. C'est ce qu'Ivan Illich appelle l'industrialisation du manque. Comme le dit l'auteur, dans une société comme celle dans laquelle nous vivons, la vie quotidienne n'est plus qu'une suite de commandes sur le catalogue du grand magasin universel .
  • Réponses apportées par l'auteur : La première réponse apportée par Ivan Illich est la création d'une société conviviale, où l'homme a la possibilité d'exercer l'action la plus autonome et la plus créative, à l'aide d'outils moins contrôlables par autrui . Cela commence par la réalisation que personnes et communautées peuvent elles-mêmes satisfaire à leurs véritables besoins .

3. Mise en perspective

Dans son ouvrage La convivialité, Ivan Illich propose une perspective unique qui a profondément influencé la pensée sur les enjeux sociétaux et environnementaux. Ses critiques de la société moderne ont suscité un débat sur les effets pervers de l'institutionnalisation et de la quête de la croissance économique. Des artistes américains ont par exemple imaginé un projet de ville alternative, l' Illichville , basée sur l'œuvre d'Ivan Illich, tandis que Catherine Calvet a par exemple qualifié dans un article de Libération sa pensée d' anarchisme convivial . Tout comme son œuvre précédente, Une société sans école, La convivialité fut un succès.

Toutefois, l'argumentation d'Ivan Illich possède ses limites. On peut penser que l'auteur a tendance à idéaliser l'époque pré-industrielle. Une société où chacun serait en mesure de subvenir lui-même à ses propres besoins ne nécessiterait-elle pas en effet une baisse du confort de vie actuel ? Il semble impossible, au vu de la comlexité des technologies et des outils actuels, que chacun soit capable de se servir de tous les outils dont il a besoin sans dépendre d'autrui.

4. Liste de citations

  • Nos rêves sont standardisés, notre imagination industrialisée, notre fantaisie programmée (Ivan Illich, La convivialité. Chapitre II : Les limites de ma démonstration, page 26)
    La société actuelle nous formatterait donc en nous imposant des besoins et des envies, ce qui nous transformerait peu à peu en hommes-machines, incapables de créativité.
  • L'outil est convivial dans la mesure où chacun peut l'utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu'il le désire, à des fins qu'il détermine lui-même. (Ivan Illich, La convivialité. Chapitre II : L'autre possibilité : une structure conviviale, page 36)
    Un outil peut être qualifié de convivial à partir du moment où son utilisation n'est plus limitée à un groupe de spécialistes, comme beaucoup d'outils techniques aujourd'hui, mais où chacun peut s'en servir à volonté.
  • Une société où la plupart des gens dépendent, quant aux biens et aux services qu'ils reçoivent, des qualités d'imagination, d'amour et d'habileté de chacun, est de la sorte considérée comme sous-développée. En retour, une société où la vie quotidienne n'est plus qu'une suite de commandes sur le catalogue du grand magasin universel est tenue pour avancée. (Ivan Illich, La convivialité. Chapitre II : L'aveuglement présent et l'exemple du passé, page 40)
    Selon Ivan Illich, nous avons la mauvaise définition de l'avancement d'une société. En effet, les outils appelés institutions que nous avons créés en pensant progresser, comme l'école, seraient en fait contre-productifs puisqu'ils limiteraient notre capacité d'imaginer, d'apprendre et d'agir et nous renderaient serviteurs de la société.

5. Glossaire

  • Convivialité : Principe défini par Illich qui prône une société dans laquelle chacun peut forger son avenir et exprimer sa liberté et sa créativité, sans dépendre d'institutions bureaucratiques.
  • Industrialisation du manque : Création de valeurs abstraites par les institutions (comme le besoin de l'école, l'idée que le niveau des salaires correspond à un niveau de vie, ou que la croissance du tertiaire reflète une hausse de la qualité de vie) pour matérialiser un manque chez l'Homme.
  • Outil (ici) : "Tout objet pris comme moyen d'une fin". Cela inclut les "institutions productrices de biens" (usines, centrales électriques...) et les "institutions productrices de services" (l'école, l'organisation médicale, la recherche, les moyens de communication...).
  • Outil maniable : Un outil qui "adapte l'énergie métabolique à une tâche spécifique" (comme un marteau, un vélo, voire un réseau de pistes cyclables).
  • Outil manipulable : "Un outil mû, au moins en partie, par une énergie extérieure" et qui peut dépasser l'échelle humaine (comme un monte-charge, une scie électrique, un avion).

6. Lectures associées